Vendee Globe: Chronique m�dicale Salle d�attente
Tuesday, 10 January 2017
5h du matin. La sonnerie du téléphone. Violente. Avec l’amplificateur, impossible de ne pas l’entendre. Décrocher, vite. Regard sur le numéro qui s’affiche. Un bateau. Appréhension d’entendre les premiers mots. Aux intonations on sait déjà si la situation est ou non maîtrisée, si la douleur taraude la pensée et la voix. Qu’est ce qui se passe ? Etre à 100% disponible, là, tout de suite, pour évaluer la gravité du problème et prendre les décisions qui s’imposent. Ne pas tergiverser. Il est si loin et si seul. En instantané, défile dans la tête le souvenir des accidents d’autres courses. Raphaël, Eric, Yann, Bernard et les autres. Ce jour-là, c’était un matin tranquille de décembre.
Un jour comme aujourd’hui où l’on se dit que là-bas dans le Sud, la vie des skippers solitaires semble aller pour le mieux. Mais brutalement, tout bascule. Le film repasse en accéléré avec encore en mémoire, l’appel, les cris de douleur, de rage et de désespoir. Instantanément, on comprend. C’est grave, mais la souffrance est trop forte pour qu’il puisse expliquer. Attendre qu’il se calme, même si on sait l’urgence de savoir. Lui parler dans ses silences, lui dire qu’on est là, pour lui, pour l’aider. L’apaiser, le rassurer. Lui laisser le temps d’évacuer l’énorme pression du stress et de sa vie en danger. Et poser des questions simples pour avoir les réponses claires indispensables. Les recouper pour éviter toute ambigüité dangereuse. Ca va mieux, sa respiration est moins saccadée, plus apaisée. Il comprend qu’il n’est plus tout à fait seul et que désormais on s’active pour le sortir de là.
Alors, il raconte le choc, la douleur, la peur. Tout ce qu’il a dû endurer pour venir jusqu’au téléphone. Dans ces situations de grand danger, l’être fonctionne dans une demi-conscience, avec des automatismes dont la pertinence étonne. La force de la Vie est dans ces réactions innées et instantanées face auxquelles la conscience et l’émotion ne sont qu’un frein fatal. D’abord, repousser la douleur qui paralyse. C’est le rôle des endorphines, une morphine naturelle sécrétée à doses infinitésimales au sein même des centres cérébraux de la douleur. D’aigu, le mal se transforme instantanément en engourdissement, en sensation de cuisson brûlante beaucoup plus supportable. Les aires cérébrales de décision, libérées de ce carcan oppressant, entrent en action pour écarter le danger. Au centre du cerveau, l’hypothalamus, l’organe de survie, d’alarme et de défense, active les processus neurologiques adaptés et déclenche les réactions en chaîne de sécrétion de substances comme les catécholamines. Instantanément, le cœur et la respiration s’accélèrent, le sang se concentre dans les organes vitaux, la rate se vide. Les sucres du foie sont mobilisés. Boosté par le surplus d’oxygène et d’énergie apportés par le sang, le cerveau fonctionne à 200% pour prendre, sans réfléchir et sans même en avoir conscience, les décisions les mieux adaptées. Dans ces situations, ce n’est bien souvent qu’une fois à l’abri, que l’on se rend compte de la gravité de ses blessures.
Va-t-on vivre aujourd'hui ce même scénario ? Non, ce n’est pas un appel en détresse. Ses mots le disent, tout semble sous contrôle. Le gars explique, tranquille, sans pression. Soulagement.
« Dis-moi, où tu t’es coupé ?
- Au milieu du doigt, ça saigne pas mal…
- C’est situé où exactement ? c’est profond ? »
Les réponses sont rassurantes. Un bilan complet s’impose tout de même.
« Peux-tu faire un examen précis de la blessure ? »
Méfiance, la plaie a pu toucher un nerf ou un tendon. A bord, il dispose d’un manuel de diagnostic et de soins qui l’aide à faire les bonnes investigations.
Il rappelle quelques minutes plus tard. Sensibilité de la peau correcte, flexion et extension du doigt normales. Par courriel, il a envoyé une photo. Elle n’est pas très nette mais c’est un bon complément.
« Comprime la plaie pendant plusieurs minutes pour que le saignement s’arrête. Si ça continue à saigner, saupoudre avec le coagulant. Quand ça ne saigne plus, referme la plaie avec des bandelettes adhésives. Renforce la suture avec la colle cutanée. Exactement comme tu as fait lors de ta formation. Je te reprécise tout ça dans le mail qui va suivre ».
Tout devrait bien se passer, la météo est bonne, la mer plutôt calme.
Lors de la Formation Médicale Hauturière (FMH) obligatoire pour cette course, il a appris ces gestes, condition indispensable pour pouvoir les réaliser dans ces conditions extrêmes. Mais cette formation s’est nourrie des expériences du passé. De Bertrand de Broc par exemple et de sa fameuse langue coupée. A l’époque ni téléphone, ni formation. Bertrand a suivi mes conseils envoyés par telex et s’est recousu avec une aiguille qui tenait plus de l’aiguille à voile que de la suture chirurgicale.
La pharmacie de bord obligatoire a évolué en parallèle. Aujourd’hui, elle contient plus de 120 produits différents. Une longue liste élaborée au fil des expériences, des retours des skippers et des avis éclairés des médecins réunis au sein de la Commission Médicale de la Fédération Française de Voile.
Parfois, les situations sont beaucoup plus scabreuses. Vendée-Globe 1996-1997. Pete Goss vient de sauver Raphaël Dinelli. Il l’a déposé dans un port de Tasmanie et repart en course, direction le Cap Horn. Depuis plusieurs semaines, il souffre de son coude. Malgré les antibiotiques, un abcès s’est constitué. Il faut l’inciser pour évacuer le pus et le soulager, enfin. Pour cela, une technique a été mise au point : Pete va fixer un miroir sur le dessus de son genou pour voir par réflexion la pointe de son coude. Avec le bistouri, il coupera la peau au bon endroit en regardant à travers le miroir. Le tout de la main gauche, et selon une ligne précise, pour éviter de sectionner un nerf ou une artère. Facile, n’est ce pas ? Imaginez l’intervention par 30 nœuds de vent et les vagues qui vont avec. Un vrai rodéo chirurgical. Irréalisable.
Reste donc à attendre les bonnes conditions, sans rien lui dire, pour ne pas l’inquiéter. Le routeur devient l’allié indispensable. La météo qui dicte l’ordonnance, une première médicale. Dans quelques jours, la mer sera plus facile. Juste le temps qu’il faut pour planifier l’opération dans ses moindres détails. 3 jours plus tard, tout est en place. Pete s’installe, fait l’incision à l’aide du miroir et peu à peu l’abcès se résorbe. A l’arrivée aux Sables, ne restera qu’une fine cicatrice et le miroir, en souvenir.
Il est 8h30. La photo du doigt avec la plaie recollée s’ouvre sur l’écran du PC. C’est parfait, rien à dire, un vrai travail de pro. Un courriel de félicitations lui demandant aussi un compte-rendu régulier de l’évolution.
Ne me reste plus qu’à aller me reposer dans ce bureau devenu salle d’attente. Une salle d’attente où, pour une fois, c’est le médecin qui attend. Un médecin qui doit être aussi patient, car heureusement, les accidents ne sont pas le quotidien de ce Vendée-Globe.
Dr Jean-Yves CHAUVE
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